Schubert et ses symphonies, V
Cinquième et avant-dernier volet de la présentation des symphonies de Schubert, où l'on voit que la marche hongroise n'est pas un vain mot...
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Symphonie n°8 [7, 9] en ut majeur, D.944 "La grande":
Composée (en majeure partie) à Gastein en 1825-1826; révisée en septembre 1828;
Créée à Leipzig (avec coupures) le 21 mars 1839 par l'orchestre du Gewandhaus, dir. Felix Mendelssohn;
À l’ombre tutélaire des aînés Haydn, Mozart et Beethoven, Schubert arpente, de la Première (1813) à la Sixième (1818), le chemin escarpé et gratifiant de la symphonie, investissement technique et dramatique dont les implications sonores ne peuvent que l’attirer et le propulser plus avant. Assoiffé de couleurs et de paysages, le Wanderer fait une halte prolongée auprès de la tragique Quatrième, dont les volets extrêmes suivent un parcours harmonique et tonal si déstabilisant pour l'oreille formée aux classiques viennois. Il s'en guérit avec la Cinquième, mozartienne en diable, miracle d’équilibre et d’intégrité orchestrale. L’effectif réduit, l’instrumentation raffinée, la thématique renouvelée mais digne héritière de la veine mélodique schubertienne, font pièce à la légende obstinément propagée selon laquelle une formation artisanale de base aurait fait défaut à Schubert. L’“Inachevée” avec son rare et tragique si mineur, sonne fin octobre 1822 l’heure d’une étrange récapitulation: le Wanderer est demeuré dans son élément changeant. Rien désormais ne l’effraie plus, ni la nuit noire, ni l’indispensable solitude, qu’équilibrent les non moins indispensables réunions amicales, gastronomiques et musicales, dans les cafés de Vienne. Et le voici qui aspire à un repos par lequel il pourrait faire sien le deuil qui traverse les contrées sur ses pas. Puis surgit, tout de même, une frayeur inattendue, imprévue: celle du silence. Si le Wanderer, désormais, marque trop le pas, il ne pourra plus repartir; si sa petite musique intérieure se fait trop ténue, la panique du silence, à nouveau, s'emparera de lui.
Dialectique ingérable de ce qui ne doit jamais connaître de fin.: L’inachèvement, l’Infini, explique Jacques Drillon, à chez Schubert peu de causes mais des implications multiples ...
Lancé malgré lui sur les fausses pistes de l’Inachevée, butant contre ses impasses, il ne croit plus à ses forces et s’interrompt: il contemple les malformations de cet enfant de sa chair et le délaisse, non sans y voir le véritable acte de naissance de sa grande manière instrumentale et symphonique, celle-là même qui le mènera jusqu’au Quatuor en sol D.887, jusqu’au Quintette en ut D.956 et jusqu’à la Neuvième symphonie. Mais rien n’y fait: l’Inachevée ne sera jouée qu’en 1865... après Tristan.
Échos lointains du pays éloigné, où l’on parle des langues accessibles et où l’art oratoire de la musique laisse transparaître quelque chose la terre natale et de la vie quotidienne. Le passé que l’on veut retrouver, c’est celui, souriant et mélancolique, qu’évoque une danse villageoise, un Landler; pas celui, rétrograde, de Vienne.
Comme l’écrit Dieter Schnebel, la musique de Schubert, comme celle de Bruckner, est au croisement d’un passé inachevé et d’un futur qui se fait désirer: elle est synonyme d’utopie. Après Haydn et Mozart, le classicisme exige une suite qu’il exclue tout en même temps: voilà le paradoxe dont Beethoven, auteur des Quatuors de l’Op.18 autant que des Opp.131 et 132, avait su trouver la clef.
Le but d’une “grande symphonie”, que Schubert ne saurait concevoir autrement que comme un vaste panneau cyclique, est donc loin d’être atteint. Pourtant, c’est certainement à la "Grande" qu’il fait allusion dans diverses lettres à ses parents et amis à l'occasion d’une excursion prolongée en Haute-Autriche, entre les villes d'eau de Gmunden et de Gastein, pendant l’été 1825. Peut-être parle-t-il de la même oeuvre, quelques mois plus tard, dans une lettre à l’éditeur Schott de Mayence par laquelle il entend que “[vous] soyez au fait de mes aspirations aux formes supérieures de l’art”. Et réellement, plus aucune entrave n’empêche Schubert de donner libre cours, jusqu’à l’épuisement, à ses idées musicales les plus personnelles. Les six premières symphonies, décidément, appartiennent au passé...
Septième, Huitième, Neuvième...?
La numérotation des dernières symphonie de Schubert a évolué depuis deux-cents ans. C'est ainsi que la "Grande", porta successivement le numéro 7 - dans la très contestable Brahms-Edition, à l'époque où l'Inachevée était reléguée de facto en fin de liste - 8 - dés lors que la cohérence musicologique permit de la remettre, toute parcellaire qu'elle fût, à sa vraie place dans la chronologie - puis 9, lorsque les mouvements perdus d'une symphonie dite de Gmunden-Gastein, datés de 1825, furent intégrés à la chronologie sous le numéro 8. Lorsque il fut admis que cette oeuvre ne faisait qu'une avec la "Grande", il aurait dû paraitre logique de rendre à cette dernière sa place et son numéro naturel, le 8 (rétrogradant ipso facto l'"Inachevée" en septième position), ce qui ne fut admis - les fausses traditions ont la vie dure ! - qu'au cours des toutes dernières années du XXe siècle, avec la parution de la Neue Schubert-Gesamtausgabe.
La datation exacte de la "Grande", qui remonte, comme l'ont démontré de nombreux chercheurs, aux années 1825-1826 - et non à mars 1828, date figurant sur la partition autographe mais qui n'est probablement qu'une mise au net contemporaine due au compositeur lui-même - ne modifie en rien le classement. Il restait simplement à le compléter par les éléments inachevés d'une Dixième symphonie en ré majeur (D.936 A), composés à partir de la fin de l'été 1828, et constituant vraisemblablement les derniers essais de Schubert pour l'orchestre. L'inachèvement de cette Dixième - qui n'exista longtemps, avant d'inspirer plusieurs essais d'achèvement plus ou moins concluants, que sous la forme de trois mouvements incomplets pour piano - n'a qu'une cause certaine : la maladie, qui devait emporter le compositeur le 19 novembre 1828.
Le destin de la "Grande", fut dans un premier temps comparable à celui de l'"Inachevée": En 1826, Schubert la confia à la Gesellschaft der Musikfreunde dont le comité de lecture, échaudé par tant de complexités et de longueurs, signifia son refus au compositeur. On ne la fit pas moins copier en parties séparées l’année suivante... Mais ce fut l’autre symphonie en ut, la “Petite” que l’on joua, deux mois après la mort de Schubert, et qu’il fallut faire copier à son tour. Certains passages de la “Grande” furent travaillés par les élèves du Conservatoire Impérial, ce qui aurait permis à Schubert d’en entendre certains passages, sans que cela soit vérifiable. Elle ne sera créée que le 21 mars 1839 à Leipzig par Mendelssohn, avant d’être rejetée à Paris en 1842 et à Londres en 1844. Le manuscrit avait été retrouvé par Robert Schumann dans l'appartement viennois de Ferdinand, le frère de Franz. Ainsi, l’oeuvre symphonique la plus considérable de son auteur ne fut découverte et jouée que dix ans après sa mort. Imagine-t-on l’Hymne à la Joie trouvé au fond d’une malle à la même époque ?
Reconnaissant, dans un commentaire devenu célèbre, la totale indépendance de la “Grande” par rapport à Beethoven, Robert Schumann en exalte aussi le romantisme essentiel, c’est-à-dire littéraire: “Je le dis d’emblée, qui ne connaît pas cette symphonie a tout à apprendre sur Schubert (...) Dans la vie foisonnante, colorée, romantique qu’elle renferme, la ville de Vienne revient à ma mémoire plus nettement que jamais (...) Et les divines longueurs de ce chef d’oeuvre sont comme celles d'un gros roman en quatre tomes de Jean Paul (1) (...) Il faudrait le copier tout entier pour donner idée du caractère profondément littéraire qui le traverse (...) La symphonie a produit parmi nous un effet que nous avions oublié depuis Beethoven...”
Il n’est jusqu’à la durée de cette “Grande” (entre cinquante-cinq minutes et une heure, avec toutes les reprises) qui ne la range au côté du Beethoven de la Neuvième symphonie. A vingt-neuf ans, Schubert propose une neuvième achevée; au même âge, le maître de Bonn composait tout juste sa Première...
Les "retouches" de la Brahms-Edition
Le destin de la "Grande" n'est pas exempt d'anicroches ni de mystères. Elle fut, avec la Quatrième, la plus amplement retouchée par Brahms, dans la vaste édition qu'il fut chargé de mettre au point à partir de 1884 pour le compte de l'éditeur Breitkopf. Si l'on en croit Jos van Immerseel, qui s'est longuement penché sur la question avec la rigueur qui le caractérise habituellement, ce serait plus d'un millier de "corrections" de tous ordres que le compositeur hambourgeois aurait apporté de sa propre initiative aux deux partitions qu'il s'agissait de mettre au goût du jour, selon les canons orchestraux brahmsiens et, bientôt wagnéro-mahlériens. C'est à cette vision anachronique que l'on doit une centaine d'années de fausse tradition de grandeur et de lourdeur dans l'approche de l'orchestre de Schubert.
Les retouches de Brahms portent sur à peu près tous les paramètres de l'interprétation : phrasés, liaisons, nuances, tessitures et doublures... S'il est communément admis que le tempo, grande prérogative de l'interprète, est bien l'une des principales composantes du style interprétatif, l'entorse de Brahms parait à peine croyable, puisqu'il n'a pas hésité à remplacer l'indication "C barré" (ou 2/2) de l'Andante introductif [mes. 1- 67] par un banal C (ou 4/4). Cette introduction passe ainsi de deux à quatre temps, impliquant en toute logique une division par deux du tempo, ce qui semble faire écho aux "divines longueurs" auxquelles le nom de Schubert fut couramment associé au cours du XXe siècle. Il n'est que d'écouter pour s'en convaincre les gravures de Wilhelm Furtwängler (1951) (2) ou de Karl Böhm (1963), chantres de cette supposée tradition, qui ne connurent pas d'autre matériel. Il est vrai que cinq des six premières symphonies de Schubert s'ouvrent sur une introduction lente "à la Haydn", mais l'"Inachevée", qui précède celle-ci de trois petites années, en est exempte... Et, qui plus est, l'indication Andante à C barré par laquelle s'ouvre la "Grande" n'équivaut pas, au plan du tempo, aux Adagio ou Lento qui inaugurent les Première, Deuxième, Troisième, Quatrième et Sixième symphonies. En plus de cette véritable dénaturation, qui reflète et confirme sa conception globalement large et lente du tempo, Brahms a remplacé tous les changements de nuances forts par de grands crescendi / decrescendi, gommant ainsi les contrastes volontairement appuyés entre le volume sonore des nombreux soli et celui de leurs accompagnements... Ces dernières années, plusieurs lectures "historiquement informées" (Harnoncourt, Immerseel, Zinman, Brüggen...) ont démontré que trois des quatre mouvements pouvaient faire l'objet d'une pulsation "alla breve", c'est-à-dire à une battue par mesure (3).
"Quelque chose d'épique..."
Quelqu’en soit le tempo, c'est l’unisson impérieux des cors à découvert qui domine le vaste portique qu’est l’Andante introductif, ainsi, du reste, que la fin de l’exposition et la coda du premier mouvement. Cette "vignette" mélodique imprimera sa marque à la totalité de l'oeuvre en devenant son "Mittelpunkt" selon l'expression de Schumann, si bien que le commencement de la "Grande" sera également son aboutissement, à ceci près que les implications harmoniques de ce motif des cors ne seront pleinement réalisées - on pourrait dire "libérées" - qu'à la fin de ce mouvement liminaire. L’Allegretto ma non troppo à proprement parler s’ouvre sur un premier motif morcelé, presque menaçant, des basses, auquel succède un thème plus chantant des bois, dont l'harmonisation annonce plus d'une Gesangsperiode brucknérienne (4). Plus loin, les trombones restituent à plusieurs reprises un tronçon du motif de l’introduction en lui donnant l'allure d'un fatidique memento mori. Le développement se caractérise par une relative concision, ainsi que par les modulations abruptes qui perdurent jusque dans la réexposition. La Coda accélérée s’oriente rapidement vers le triomphe du thème de l’introduction.
Jos van Immerseel a justement mis l'accent sur l'influence probable du folklore hongrois sur le matériel thématique de la "Grande". Conçue à Zseliz, où il se rend de manière régulière de 1818 à 1824 en tant que précepteur saisonnier des enfants du comte Esterhazy, la ritournelle du hautbois qui sert de sujet principal à l’Andante con moto est une manière de marche hongroise lente en la mineur qui s’inscrit dans l’oreille comme une des grandes trouvailles mélodiques de Schubert. Choral souple et un rien solennel conçu à partir du renversement de la désinence du motif précédent, le thème secondaire aurait pu sortir de la plume de Brahms. Il s’éclipse rapidement devant la marche implacable qu’est maintenant devenue la ritournelle. Plusieurs passages de ce mouvement frappent par leur caractère inattendu, voire incongru, tel le "no man's land" harmonique (mes. 148-160) qui précède la première variation du thème principal. Schumann, encore, à propos de ce passage : “Du second mouvement, qui nous parle d’une voix si touchante, je ne peux prendre congé sans un mot. Il contient un passage où le cor semble lancer un très lointain appel qui me paraît être venu à nous d’une autre sphère. Ici, tout semble être à l’écoute, comme si un hôte céleste se glissait furtivement dans l’orchestre...” On ne peut manquer d'être surpris, également, par la très inquiétante "apocalypse" (mes. 231-250) qui enfle et se coagule en un terrible accord fff de septième diminuée fortement dissonant, empilant les tierces mineures (ré#-fa#-la-do) . L'intermède qui suit donne la parole aux violoncelles dans l'aigu, accompagnés du reste des cordes en pizz. Avec ses nombreux retards harmoniques, le retour du choral varié (mes. 267) prend l'allure d'un véritable paradis perdu. La coda réinstalle simplement la ritournelle, singulièrement assagie.
Le Scherzo-Allegro vivace présente la particularité d’être construit sur un plan qui se rapproche de la forme sonate, entorse formelle voisine de celle pratiquée dans la Sixième Symphonie et que Schubert reproduira dans le Scherzo final de la Dixième. Ce recours au modèle beethovénien parachève l'émancipation de Schubert par rapport à l'ancien Minuetto hérité de Haydn, ce que tend à confirmer, par-delà les (fastidieuses) barres de reprise, l'authentique travail thématique et la négation progressive du caractère dansé. La cellule de base, exposée par les cordes à l’unisson, est animée d’une énergie haletante, quasiment motorique, qui propulse l’ensemble du mouvement, sous les rythmes appuyés des cuivres et des vents. Le motif secondaire des violons, brève envolée lyrique à l’accompagnement plus sobre, ne lui résiste pas longtemps. Hongrois jusqu'au bout des ongles, seule concession à quelque ancienne danse rurale, le long Trio est dominé par les bois et les cors dans une harmonisation agréablement volatile.
Cette énergie déborde largement sur la première marche du Finale. Avec ses 1154 mesures, cet Allegro vivace à 2/4, débordant d'inventivité thématique et harmonique, se déploie tout au long d'un incessant galop des violons, confrontés à une partie redoutable. Introduit par d'insistants ré des cors, le second sujet, quelque peu fatidique, rappelle d’abord un passage de l’Andante, mais le rythme pointé du premier motif reprend rapidement le dessus avant la fin de l’exposition. D'un bout à l'autre, la mécanique d'accompagnement tourne à plein régime, Le développement repose principalement sur une variante du second sujet traité en imitation, qui pourrait également servir de contre-chant au thème de l'Hymne à la joie. Suit un canon puis un passage d’une grande instabilité harmonique. Désormais triomphal, le second sujet fait un retour marqué aux trombones sforzando. Le galop effréné des violons se poursuit au détour d'incessantes modulations, pour ne prendre fin qu’au terme d’une vaste coda où triomphe le rythme de marche euphorique.
La "Grande" est tout autant un point d’arrivée qu’un point de départ: on y trouve le substrat technique et esthétique présent dans toutes les chefs d’oeuvre du dernier Schubert. Aussi bien, nous sommes encore en 1825, et la recherche dont témoigne cette oeuvre au plan de la conduite harmonique annonce le besoin qu’éprouvera Schubert de consulter le contrapuntiste Simon Sechter, avec qui le sort ne lui offrira de prendre qu’une seule et unique leçon. Les esquisses d’une Dixième Symphonie, (septembre-octobre 1828), témoignent d’une même urgence, comme nous le montrera le dernier épisode de cette série. Et notre Wanderer, sous la plume de Georg Philipp Schmidt, entend enfin la voix du deuil qui marche à son côté:
J’erre, silencieux, j’ai peu de joie, Et toujours, un soupir demande: “où ?” Sans cesse: “où ?” Un souffle immatériel résonne:
“Là où tu n’es pas, là est le bonheur...”
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Les enregistrements que j'ai utilisés pour la rédaction du présent article sont les suivants :
- W. Furtwängler / Berliner Philharmoniker (1951), DGG
- K. Böhm / Berliner Philharmoniker (1963), DGG
- G. Wand / NDR Sinfonieorchester, Hamburg (1991), RCA
- N. Harnoncourt / Concertgebouworkest Amsterdam (1992), Teldec
- F. Brüggen / Orchestra of the XVIIIth Century (1992), Philips
- J. van Immerseel / Anima Eterna (1997), Sony
- D. Zinman / Tonhalle Orchestra, Zurich (2011), RCA
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(1) Jean Paul Richter (1763-1825), écrivain allemand, chantre du rêve et de l’infini.
(2) En dehors de cette importante réserve, et de l'absence des reprises dans I et IV, l'enregistrement fameux de Furtwängler pour Deutsche Grammophon, réalisé à la Jesus-Christus Kirche de Berlin avec l'Orchestre Philharmonique dont il venait de reprendre les rennes après une longue période de dénazification, impressionne toujours autant, plus de soixante ans après sa première parution. Comme toujours avec lui, la densité, la matérialité de la sonorité a quelque chose d'incontournable qui saute immédiatement à l'oreille. Malgré l'absence des reprises dans I et IV, la symphonie dure ici 55 minutes, soit autant que dans la plupart des gravures récentes qui, elles, jouent les reprises, ce qui en dit long sur les tempi ! Seul le Finale, véritable maelström dont les dynamiques et les tempi sont formidablement gérés, échappe à ce travers. Comme souvent, Furtwängler parvient à susciter une forme de fascination tout en se situant à mille lieues des plus élémentaires préoccupations d'ordre philologiques et stylistiques, devenues la norme depuis... Sa vision, comme toujours avec la grande forme, est toute entière orientée vers le Finale, siège des plus grands dénouements, qui voit triompher la dialectique beethovénienne.
(3) Relativement aux libertés prises par Brahms dans son travail éditorial pour Breitkopf, on ne saurait mieux dire que Nikolaus Harnoncourt dans le livret d'accompagnement de son intégrale enregistrée en 1992 avec l'orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam : "Nous sommes convaincus que ces "corrections" ont eu, en leur temps, leurs raisons d'être. Mais il me semble que l'on peut (et que l'on doit) aujourd'hui jouer les symphonies de Schubert telles qu'elles ont été composées".
(4) Comme j'ai tenté de le démontrer tout au long de cette série d'articles, on n'en finirait pas de souligner la parenté de langage entre Schubert et Bruckner, les deux plus grands symphonistes autrichiens du XIXe siècle. L'un, sans le savoir, prépare clairement le terrain à l'autre et leur ressemblance n'est, quant à la forme, qu'une question d'échelle. L'un et l'autre ont probablement davantage "écouté" instinctivement leurs idées les plus personnelles que réellement "travaillé" à s'en trouver, et les ont développées avec les moyens techniques et artistiques qui leur étaient propres.